Dharmakaya

Serge Zaludkowski

ted a écrit :Non Serge. Je cherche sincèrement à comprendre. Et je me méfie de mes propres certitudes.
"Entretenir un doute massif" disait maître Dogen.
Alors que Garab Dorjé dit tout le contraire? mais lui se positionne après l'introduction directe.
Ce qui prouve bien que le zen n'est pas dans la même approche que Dzogchen pour qui la voie et le fruit sont confondus.

Mais je vais essayer de faire part de mon trouble avec des mots simples :
  • Si absolument tout ce qui nous entoure est la manifestation de notre dharmakaya, ça voudrait dire que nous créons aussi "les autres personnes" en quelque sorte ! Or, ce n'est pas possible ! Sauf à tomber dans un délire égotique spirituel. :)

    Donc, pour expliquer la présence "des autres personnes", il faut postuler que leur dharmakaya est aussi le nôtre. Et que du point de vue de ce dharmakaya, il n'y a pas "d'autres personnes".

    Il faut postuler qu'il n'y a pas de séparation entre nous et les autres. Que les autres sont des reflets échappés du même dharmakaya que nous croyons nous approprier mais qui ne peut en aucun cas nous appartenir. De même qu’un reflet n'est pas propriétaire du miroir.

    Notre illusion qui consiste à voir "d'autres personnes", n'est que la preuve de notre ignorance à ne pas comprendre que ces "autres personnes" ne sont pas autres que nous-mêmes. Comme un miroir reflétant une ampoule allumée. Le miroir se brise en 1000 morceaux et alors apparaissent 1000 ampoules ! 1000 dharmakayas.
Les autres personnes sont "comme nous" même, ce qui n'est pas la même chose. Et bien sur je te titillais un peu, mais tes questionnements permettent "d'enlever la brume".
L'erreur que tu commets c'est d'essayer de voir/comprendre le point de vue de rig-pa à partir de ma-rigpa ... ça ne marche pas. Dans ce cas il vaut mieux en rester à la vision habituelle duale et considérer que le dharmakaya est propre à chacun.

Si nous ne sommes pas "l'autre", nous sommes inter-liés, ne fusse que par la quantité de karma similaire que nous expérimentons. Tout le monde a déjà fait à certain moment l’expérience de sa nature véritable, ce n'est pas un état "exceptionnel" et il est clair qu'un pratiquant du dharma du Bouddha du fait des mécaniques de pacification qu'il utilise, méditation, contemplation, "tourne au moins autour". Tout ça pour dire que "l'impression" que l'on peut avoir de "comprendre" une autre personne, d'être "synchrone" avec quelqu'un vient du fait que si le fruit est identique pour chacun, la voie peut avoir quelques ressemblance, ce qui nous donne parfois cette impression "d'avoir compris", d'être "le même".
C'est la différence entre un ciel chargé de nuage qui couvre complètement le soleil et un ciel avec des nuages qui laissent parfois percevoir le soleil.

Ta dernière image est intéressante : "Notre illusion qui consiste à voir "d'autres personnes", n'est que la preuve de notre ignorance à ne pas comprendre que ces "autres personnes" ne sont pas autres que nous-mêmes. Comme un miroir reflétant une ampoule allumée. Le miroir se brise en 1000 morceaux et alors apparaissent 1000 ampoules ! 1000 dharmakayas."

eveil_333
shalistamba

Serge Zaludkowski a écrit :Tout ça pour dire que "l'impression" que l'on peut avoir de "comprendre" une autre personne, d'être "synchrone" avec quelqu'un vient du fait que si le fruit est identique pour chacun, la voie peut avoir quelques ressemblance, ce qui nous donne parfois cette impression "d'avoir compris", d'être "le même".
L'impression pourrait être la même sans que la voie (de chacun) ait la moindre ressemblance.
Serge Zaludkowski

shalistamba a écrit :
Serge Zaludkowski a écrit :Tout ça pour dire que "l'impression" que l'on peut avoir de "comprendre" une autre personne, d'être "synchrone" avec quelqu'un vient du fait que si le fruit est identique pour chacun, la voie peut avoir quelques ressemblance, ce qui nous donne parfois cette impression "d'avoir compris", d'être "le même".
L'impression pourrait être la même sans que la voie (de chacun) ait la moindre ressemblance.
et d'où sortirait cette impression, qu'elle en serait la cause ?
shalistamba

Serge Zaludkowski a écrit :
shalistamba a écrit :
Serge Zaludkowski a écrit :Tout ça pour dire que "l'impression" que l'on peut avoir de "comprendre" une autre personne, d'être "synchrone" avec quelqu'un vient du fait que si le fruit est identique pour chacun, la voie peut avoir quelques ressemblance, ce qui nous donne parfois cette impression "d'avoir compris", d'être "le même".
L'impression pourrait être la même sans que la voie (de chacun) ait la moindre ressemblance.
et d'où sortirait cette impression, qu'elle en serait la cause ?
L'autre ou pour rester dans un cadre bouddhiste le dharmakaya lui-même.

Sinon on reste dans un entre-soi que je trouve déplorable même (et surtout) chez les bouddhistes qui prétendent qu'il n'y a pas de "soi".

Les chrétiens, les juifs, les musulmans et les athées (liste non exhaustive) ont également une nature de bouddha même si leur voie n'a aucune ressemblance avec la notre.

Vous rependrez bien une petite citation de Dogen :
"Même les éveillés et les patriarches avec leurs visages éclos ne doivent pas se méprendre sur la rencontre du moi et de l'autre"
Y. Orimo ajoute dans les notes en bas de page
"...Cette identité contradictoire [du moi et de l'autre] ne doit nullement annuler leur différence, mais bien au contraire elle a pour fondement l'altérité, altérité structurellement présente aux tréfonds de chaque existant".Maître Dôgen - Quelle est l'intention du patriarche Bodhidharma venu de l'ouest [Soshi serai.i] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 3
Dernière modification par shalistamba le 04 mars 2016, 22:28, modifié 1 fois.
Serge Zaludkowski

shalistamba a écrit :
Serge Zaludkowski a écrit : ...

et d'où sortirait cette impression, qu'elle en serait la cause ?
L'autre ou pour rester dans un cadre bouddhiste le dharmakaya lui-même.
Je ne comprends pas bien le mécanisme que tu proposes ... peux-tu développer. jap_8
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jules
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L'autre ou l'irréductible. :D

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shalistamba

Je ne comprends pas bien le mécanisme que tu proposes ... peux-tu développer. jap_8
Comme le fait remarquer Jules, l'autre est précisément ce qui résiste à tout mécanisme de réduction au même en l’occurrence celui de l'impérialisme du Jules César qui sommeil plus ou moins en nous.

L’égoïste considère l'autre comme un alter-ego alors que l'altruiste considère l'autre en tant qu'autre.

Sortons de l'état de guerre mutuelle que propose Asterix et Obélix pour se pencher sur le bouddhisme. Ce qui est intéressant c'est l'état de dépendance dans lequel le moine se met par rapport aux laïcs lorsqu'il mendie. On n'est pas dans un rapport d'égal à égal.
"En général, lorsqu'un être éveillé et un être non éveillé déploient ensemble le cœur de l'éveil, ils obtiennent pour la première fois une graine de la nature de l'éveillé" Maître Dôgen - Déploiement du cœur de l'Eveil [Hotsumujôshin] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 1


La manière dont la relation moines-laïcs a été pensé par le Bouddha va à l'inverse d'un rapport de prédation.

C'est la même chose qu'explique Barbara Fredrickson dans le plaidoyer pour l'altruisme de M. Ricard. Ce qu'elle appelle des micro-moment d'amour ne se limite pas au couple mais peut arriver à n'importe quel moment entre de parfaits inconnus sans qu'il n'y ait rien de sexuel dans la relation. Elle dit qu'être attentif à ce qui se passe dans ce genre de relation permet de faire germer la graine de compassion qui sommeille en chacun de nous.

Évidemment a tout moment l'égo va chercher à récupérer la situation à son avantage car il est toujours flatteur d'entrer en résonance avec un Autre. Il faut donc rester vigilant.

Je pourrais développer à partir de la pensée de Levinas mais on sort un peu du cadre du bouddhisme surtout qu'il y a aussi des différences avec la pensée de Dogen. Notamment je ne pense pas que chez Dogen l'Altérité se limite comme chez Levinas à l'alterité de l'autre homme mais s'élargit chez Dogen aux animaux et à la nature (les herbes et les cailloux). Chez Levinas l'altérité de l'Autre me fait violence alors que ce n'est pas le cas chez Dogen. Il n'est pas question de réduire ces deux pensées l'une à l'autres mais d'éclairer leurs différences pour mieux les comprendre.
ted

shalistamba a écrit : L’égoïste considère l'autre comme un alter-ego alors que l'altruiste considère l'autre en tant qu'autre.
Suis pas trop d'accord avec ça. Voir l'autre en tant qu'autre, c'est peut être, socialement, respecter sa différence (etc).
Mais est-ce que ça ne consolide pas surtout notre propre sentiment d'identité ? Et donc, notre égo ? :shock:
shalistamba

Suis pas trop d'accord avec ça. Voir l'autre en tant qu'autre, c'est peut être, socialement, respecter sa différence (etc).
Mais est-ce que ça ne consolide pas surtout notre propre sentiment d'identité ? Et donc, notre égo ? :shock:
Cela ne consolide notre sentiment d'identité seulement si nous concevons la relation de manière dualiste. Si l'altérité est au cœur de la subjectivité nous voyons simultanément l'autre comme nous-même sans le confondre avec nous-même... De même au cœur de zazen nous ne nous identifions pas avec nos pensées mais nous cherchons à faire la part entre ce qui provient de notre ego et le non-ego (la vacuité). Évidemment j'ai tendance à considérer l'altérité comme un synonyme de non-ego ou non-soi (ça ne marche pas avec Dieu, Soi, ou l'inconscient)
"La méditation assise et la pratique de la Voie ne sont autres que le déploiement du cœur de l'éveil. Le déploiement du cœur n'est ni un ni multiple : la méditation assise n'est ni une ni multiple. Ils ne sont ni à multiplier ni à diviser. Il faut étudier à fond tous les existants tête par tête" Maître Dôgen - Déploiement du cœur de l'Eveil [Hotsumujôshin] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 1


Ni un ni multiple signifie singulier, autre. Comme le dit Parménide, ce qui est autre ne renferme aucune unité ni totalité. Ce qui est singulier, différent, autre ne peut se multiplier ni se diviser.

Prendre conscience de sa singularité permet de prendre conscience du même coup du fait que les autres sont aussi singulier que nous ce qui implique que nous sommes irremplaçable. C'est ce qu'un cuisinier fait comprendre au jeune Dogen.

La singularité n'implique nullement l'existence d'un ego ou du moi. toute pierre est singulière sans pour autant renfermer un moi qui pense.

L'identité au sens d'identité nationale se construit sur la base d'un jeu de différence avec l'autre, l'étranger, le barbare, c'est vrai mais si nous partons du principe que nous avons tous la même nature de bouddha, il n'y a plus ni étranger ni barbare et même les animaux sont des êtres dont il faut prendre soin comme si c'était nos propres enfants.

Nous avons trop tendance à considérer l’électeur du front national comme un autre avec qui nous n'avons aucun point commun alors que si nous regardons comment nous fonctionnons nous aurions tout intérêt à prendre soin de ces électeurs comme s'ils étaient malades parce que nous sommes tous un peu malades. Christophe André compare l'égo à un moteur de réfrigérateur qui doit fonctionner mais sans faire trop de bruit. Même si l'ego est une illusion c'est une illusion qui fait du bruit et qui peut nous rendre malade.

Même si le dharmakaya était une idée stupide n'ayant aucune validité scientifique elle pourrait malgré tout fonctionner à la manière d'un placebo qui, sans posséder le moindre principe actif, pourrait malgré tout nous sauver.
Serge Zaludkowski

shalistamba a écrit : ...
Nous avons trop tendance à considérer l’électeur du front national comme un autre avec qui nous n'avons aucun point commun alors que si nous regardons comment nous fonctionnons nous aurions tout intérêt à prendre soin de ces électeurs comme s'ils étaient malades parce que nous sommes tous un peu malades.
...
C'est ce qui est exprimé par : "Tout ça pour dire que "l'impression" que l'on peut avoir de "comprendre" une autre personne, d'être "synchrone" avec quelqu'un vient du fait que si le fruit est identique pour chacun, la voie peut avoir quelques ressemblance, ce qui nous donne parfois cette impression "d'avoir compris", d'être "le même".

Parce que le fruit est identique, la voie à certaines similitudes qui nous permettent de "comprendre l'autre" ...
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