Quelqu'un (qui ?) est venu me dire que ma grand-mère voulait que je vienne. Je me suis sauvée jusqu'au second étage. Je ne voulais voir personne, entendre personne... J'avais la tête pleine de ces moments avec lui. Les soins aux fleurs, l'épluchage des haricots, son atelier... Pourtant, je passais bien plus de temps avec ma grand-mère qu'avec lui, mais l'intensité et la saveur n'étaient pas la même. Aujourd'hui encore il habite mon pot à pinceaux, ma cuisine, mon étagère à livres, même... Je ne me souviens pas, ou quasiment pas des deux jours qui ont suivi. Guère plus de l'enterrement. Je voyais, j'entendais, je n'analysais pas... Comme il est mort juste avant Noël, mon frère et moi avons été passer le Nouvel An en famille et c'est là que j'ai commencé à émerger.
Et puis, il y a eu le mois de janvier. Ma grand-mère avait été installée chez nous. Comme en vacances, j'ai essayé de la distraire. Assez vite, elle n'a plus su les cartes du jeu de belote. J'ai essayé les dominos, mais ses mains, rhumatisantes depuis trente ans et toutes déformées, ne les tenaient pas... La télé ne retenait plus son attention, son cochon d'inde à peine plus... Et puis elle s'est mise à nous prendre, mon père et moi, pour lui. Dernier signe qu'elle analysait les visages, car nous lui ressemblons et elle ne faisait ça qu'avec nous.
Maintenant, quand je me demande pourquoi je me suis sauvée je me dis aussitôt que je le sais bien. Même tout allant au mieux, elle arrivait à se lamenter des malheurs passés ou à venir, alors... Comment la gamine déboussolée que j'étais aurait pu supporter ça ? Pourtant... Elle aurait peut-être mieux passé le cap.
Je ne sais jamais quoi dire en ce genre de circonstances...
Je sais que beaucoup de gens ont besoin de mots, mais moi, je les trouve tous creux, vides, inutiles au mort et dérisoires pour les vivants.

