Le culturel au détriment de l'essentiel ?

tongra

ted a écrit :Je suis d'accord avec ça, sauf que je trouve que les mots "gangue" et "formaté" semblent un peu péjoratifs. Pourquoi ne pas parler plutôt de "terreau" et "d'éducation" ? qui ont des connotations positives ?
Parce qu'à une époque on y allait d'une immersion totale et sans compromis, sans parapets ni garde fous (ce dernier est même à prendre au sens propre). La teneur et le ton de ce qui était inculqué ne souffrait pas de demi-mesure : "Sans immersion totale vous n’obtiendrez rien !" Mais c'était une époque moins édulcorée qu'à présent. Les enseignants ne nous présentaient pas de sweets à manger, ils sortaient tout juste de leur Tibet puis du Sikkim et savaient à peine ce qu'était un occidental.

Quand on nous dit qu’il n’y a que ça, on n’a aucun choix autre que se formater, se forcer à rentrer dans un moule qui, on s’en rend compte plus tard, n’est pas approprié à notre façon de penser, de vivre et d’appréhender la vie. C’est un peu comme un cataplasme sur une jambe de bois, non seulement ça ne marche pas mais tôt ou tard ça va, de toute évidence se décoller. Tout ça parce qu’on s’est forcé à tout ingérer, le culturel qui prend les trois quart de la place et le peu d’essentiel que l’on a pu dégager, tant bien que mal, de tout ça. Ca c’est pour la gangue !

Ceux qui ont eu l’ouverture d’esprit nécessaire pour en distinguer le cœur n’ont pas été échaudés sur le fond, et le retour a pu s’opérer mais sur un autre mode et une autre vision. Mais ce n’était pas chose aisée car il y avait un grand manque de repères.
Maintenant, de nos jours, les nouvelles générations ont accès à une base plus épurée, où l’on commence à faire la part des choses. Mais ce n’est pas gagné pour autant car ce que l’on trouve est un marché immense avec des propositions diverses et variées et le produit est toujours présenté de façon alléchante.

Longchen soulève aussi un point important : Le mode de relation maître/disciple, c’est un mode qui culturellement ne nous est pas habituel. Et même, si d’aventure, il arrive qu’on en côtoie un régulièrement, de même il va falloir décoder des codes de comportement qui nous sont étrangers et une fois de plus se fondre dans un moule ou jouer un jeu inhabituel et inconnu, dont on ne comprend pas les règles.

Donc je ne pense pas que l’on puisse parler de terreau et d’éducation mais de tentative de transplantation dans un substrat de composition inconnue, et l’issue de cette bouture est vraiment incertaine.
lausm

Oui, c'est une question de fond importante, et la relation maître-disciple est parée de projections culturelles qui sont à réfléchir. Par chez nous, ce que je vois c'est que dans le milieu du zen de plus en plus de gens prennent des distances avec ce modèle là.
Dans ce que dis Longchen, j'entends le sentiment de discordance entre enseignement, et transmission d'une capacité à vivre au quotidien ce qui est enseigné. L'attente serait plus de rencontrer des personnes qui incarnent ce dont elles parlent, et qui abolissent là distance entre théorie et pratique.
Quelqu'un me disait récemment qu'on avait maintenant besoin de maîtres sur la terre...il voyait un gars comme Pierre Rabhi dans cette catégorie.
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axiste
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Et puis au final, comme dit Tongra, tout cela est vu pour ce que c'est : des attachements. Des attachements précieux qui construisent et remplissent toute une vie de bonheur et de souffrance. Mais des attachements tout de même. Indispensables pour pratiquer. Parce qu'on pratique dans la dualité.
:oops: :
Les attachements sont triples:

1) attachement aux plaisirs des sens
2)attachement au plaisir des sens associé à la vue d'éternité qui dit que les plaisirs sensuels et la vie sont impérissables, donc remplis de satisfaction
3) attachement au plaisir des sens avec la vue du nihilisme qui dit qu'il faut profiter de ces plaisirs avant la mort, car après ce sera l'annihilation et tout disparaitra.

Les deuxième et troisième point représentent l'attachement à l'existence et à la non existence

Les trois sortes d'attachements décrits deviennent 18 quand ils sont multipliés par les 6 objets des sens tels que:forme, son, odeur, goût, contact et pensées
Ces 18 deviennent 54 s'ils sont considérés comme passés, présents, futurs
Multipliés par externes et internes ils deviennent 108

'(extrait du journal Sambodhi 2000)
Je m'arrête là parce qu'on peut aussi parler des désirs, dire qu'ils sont quadruples et….

(...je vais éplucher les légumes :D)
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
ted

Ajahn Vajiro rappelle que les quatre étapes de l’Eveil sont :
  • 1/ Sotāpanna : celui qui est entré dans le courant. Il est libéré de trois des Empêchements : le doute, la croyance en un « soi » et l’attachement aux rites et aux rituels.

    2/ Sakadāgāmī : celui qui ne reviendra qu’une fois. Il n’a plus que de très faibles sentiments de désir et d’aversion.

    3/ Anāgāmī : celui qui ne reviendra pas. Presque complètement réalisé, il trouve encore un certain délice dans les formes immatérielles et raffinées.

    4/ Arhat : littéralement « l’émancipé », celui qui s’est libéré de tout et en particulier des attachements les plus subtils dans les domaines de l’agitation, de l’orgueil d’être et de l’ignorance.
source : http://www.dhammadelaforet.org/sommaire ... rte_3.html
Donc, pratiquer des rites et des rituels est une forme d'attachement qui disparait un jour. Et pourtant, ces rites et rituels sont indispensables à beaucoup d'entre nous pour progresser. C'est pour ça que je dis qu'il y a des attachements utiles, à un certain niveau. :oops: Tout est relatif.
Jingshen

Pour ceux qui connaissent, il y a pas mal de similitudes entre l'enseignement du bouddha et celui de krishnamurti, mis à part moins de "détails techniques" ou structurés pour lui, mais il parle toujours de conscience, d'attention, de vigilance, d'esprit en éveil, bref avec des mots qui peuvent être compris "universellement" car ne faisant pas partie d'une culture "spécifique" ou tradition (il parlera de paix, de tranquilité, au lieu de samadhi, ou de présence-attention, au lieu de "sati" etc)
Mais à mon sens, les gens qui cherchent des certitudes, à "faire parti d'un truc", iront logiquement "s'intégrer dans une culture ou tradition" (religion, parti politique, société etc), ou ils passeront d'un système à un autre, du christianisme au bouddhisme ou hindouisme par exemple, par insatisfaction ou pour se rassurer, ou tenter de fuir un système, en etant attiré par d'autres choses plus "exotiques", mais au final ils ne font que passer d'un conditionnement à un autre, sans être vraiment libres, impartials et "eux même"
A moins d' aller au dela des cultures et traditions "officielles", qui "voilent" ou déforment la réalité pure et simple (et souvent crées des haines, intolerances, obligations etc), et empêchent au final souvent de "voir par soi même" la vérité, de faire l'experience qui ne peut qu'être individuelle, personnelle, sans murs et paravents entre soi et la réalité;

Krishnamurti, comme certains "iconoclastes du zen, du tchan, Hanshan, Tchouang tseu ou autres, c'est un "décapant" pour enlever les conditionnements et poussières culturelles !
Les religions poursuivent leur propagande en vue de conquérir un pouvoir sur les consciences. Elles cherchent à s’emparer de l’enfance pour mieux la conditionner. Les religions des Églises et celles des États proclament la nécessité de toutes les vertus, alors que leur Histoire n’est qu’une série de violences, de terreurs, de tortures, de massacres inimaginables.
Si une déclaration de fraternité est plus importante que le culte, c’est que le culte a perdu de son importance aux yeux mêmes de ses pontifes. Ce prétendu universalisme n’est tout au plus qu’une tolérance. Etre tolérant, c’est à peine tolérer le voisin sous certaines conditions. Toute tolérance est intolérance, de même que la non-violence est violence. En vérité, à notre époque, la religion, en tant que véritable communion de l’homme avec ce qui le dépasse, ne joue pas de rôle dans la marche des affaires humaines. Les organisations religieuses, par contre, sont des instruments politiques et économiques.
Pourquoi parle-t-on de religion d’avenir ? Voyons plutôt ce qu’est la vraie religion. Une religion organisée ne peut produire que des réformes sociales, des changements superficiels. Toute organisation religieuse se situe nécessairement à l’intérieur d’un cadre social. Je parle d’une révolution religieuse qui ne peut avoir lieu qu’en dehors de la structure psychologique d’une société, quelle qu’elle soit. Un esprit vraiment religieux est dénué de toute peur, car il est libre de toutes les structures que les civilisations ont imposées au cours de millénaires. Un tel esprit est vide, en ce sens qu’il s’est vidé de toutes les influences du passé, collectif et personnel, ainsi que des pressions qu’exerce l’activité du présent qui crée le futur.
Il est libre, vif et totalement silencieux. C’est le silence qui importe. C’est un état sans mesure. Alors seulement peut-on voir, mais non en tant qu’expérience, Cela qui n’a pas de nom, qui est au-delà de la pensée, qui est énergie sans cause. A défaut de ce silence créateur, quoi que l’on fasse, il n’y aura sur terre ni fraternité ni paix, c’est-à-dire pas de vraie religion.Cette essentielle liberté est déniée par toutes les organisations religieuses, en dépit de ce qu’elles disent.
Loin d’être un état de prière dévote, la connaissance de soi est le début de la méditation. Ce n’est ni une accumulation de connaissances sur la psychologie, ni un état de soumission dite religieuse, où l’on espère la grâce. C’est ce qui démolit les disciplines imposées par la Société ou l’Église. C’est un état d’attention tranquille et silencieux, qui observe aussi le monde extérieur et ne projette plus aucune imagination ni aucune illusion. Pour observer le mouvement de la vie, il est aussi rapide qu’elle, actif et sans direction. Alors seulement, l’immesurable, l’intemporel, l’infini peut naître. C’est cela, la vraie religion.
J.krishnamurti
Katly

Sans religion, l'humanité serait comme un vaisseau sans phare.


Pour moi, le bouddhisme, le zen vietnamien de TNH, est éclairant, des clés qui ouvrent, élucident en respectant "d'où je viens", et mes quelques attachements, créatif dans la pratique, simple dans les rituels.L'échange de culture me semble fluide. La culture est partagée pas imposée. Cela me convient. <<metta>>
ted

Cher Jingshen

Tu es nouveau sur nangpa ::mr yellow:: et je te souhaite la bienvenue.

Le sujet du fil est Le culturel au détriment de l'essentiel et comme l'a précisé celui qui a lancé le fil :
la problématique de la part culturelle dans l'enseignement, qui semble peser sur la découverte de la sagesse profonde.

Merci donc de rester dans le sujet et de ne pas dériver sur l'inutilité-des-religions-dans-tout-système-humain.-Ou-la-nécessité-de-se-passer-de-maîtres-à-penser-et-de-tracer-sa-voie-seul,-fier-la-tête-haute,-seul-contre-tous.

Merci de ta compréhension. Au nom de celles et ceux qui pourraient être intéressés par le sujet de départ
.
tongra

Katly a écrit :Sans religion, l'humanité serait comme un vaisseau sans phare.
Très juste. Cette impossibilité totale de vivre sans réponses, quelles qu'elles soient, fait que les religions évitent que les 3/4 de l'humanité finissent à l'asile psychiatrique. Elles sont donc nécessaires à la plupart et ont au moins cette raison d'exister.
ted

tongra a écrit : Parce qu'à une époque on y allait d'une immersion totale et sans compromis, sans parapets ni garde fous (ce dernier est même à prendre au sens propre). La teneur et le ton de ce qui était inculqué ne souffrait pas de demi-mesure : "Sans immersion totale vous n’obtiendrez rien !" Mais c'était une époque moins édulcorée qu'à présent. Les enseignants ne nous présentaient pas de sweets à manger, ils sortaient tout juste de leur Tibet puis du Sikkim et savaient à peine ce qu'était un occidental.
Mais ça a marché pour certains pratiquants non ? Parce que tu parles de cataplasme sur une jambe de bois, mais il y a certains pour qui la greffe a pris je suppose ?
Par exemple :
  • Lama Denys est né à Paris en 1949. À 18 ans, il rencontre lors d'un voyage dans l'Himalaya indien le grand maître bouddhiste tibétain Kalou Rinpoché. Lama Denys apprend la langue tibétaine, s'installe en Inde quelques années plus tard et entame une formation traditionnelle. Il devient le disciple et traducteur personnel de Kalou Rinpoché qui lui transmet l'expérience et les enseignements du Mahâmudrâ et du Dzogchen lors de nombreuses retraites.

    Il reçoit ensuite plusieurs transmissions des lignées Kagyüpa, Nyingmapa et Sakyapa par le biais de grands maîtres tels que Dudjom Rinpoché, Kangyur Rinpoché, Pawo Rinpoché, Dilgo Khyentsé Rinpoché ou encore le 16e Karmapa.
ted

Ce serait intéressant d'avoir des statistiques sur cette période du bouddhisme en France.
Je pense qu'après 20, 30, 40 voire 50 ans de pratique, il y a un énorme risque de douter si on a mis trop d'attentes dans la démarche. Je ne dis pas que c'est ton cas, je ne sais rien de ta vie. Mais je regarde d'autres pratiquants de longue date, j'écoute leurs propos et parfois, j'ai comme un malaise. On perçoit parfois une déception, une légère rancoeur. Chez toi, je perçois plutôt une forme de lucidité réaliste. Tu es passé à travers une machine qui en a broyé certains et tu as beaucoup appris. Mais ceux qui ont abandonné n'étaient peut être simplement pas prêts ?

C'est épouvantable d'être moine et de tout abandonner. :D Ca, c'est ce que je ressens maintenant. :oops: J'ai énormément de respect pour ceux qui y arrivent. Je ne pourrais pas, c'est clair. De même, passer de longues années en retraite, ne pas construire une vie sociale ou sentimentale, et se retrouver un jour, sans revenus, sans sécurité sociale et parfois sans reconnaissance de la part du proche sangha... ça peut être vécu comme un échec... Si on a pas une lumière intérieure puissante, ça doit pas être triste...
Mais si on tient le bon bout, si on a trouvé l'équilibre, la sérénité, la paix intérieure, alors bingo ! ba11
FleurDeLotus <<metta>> <<metta>> <<metta>>

Maintenant, je ne pense pas que les échecs soient à mettre seulement sur le compte du culturel. Il doit y avoir autant de séminaristes, de clercs, de religieuses ou de moines chrétiens qui laissent tomber, perdent la foi etc...
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