Eveil abrupt !

FA

On peut généralement dire qu'il y a deux manières de s'assurer que la sensation n'est pas suivie de l'avidité, de s'assurer que la roue ne fait pas un autre tour. Il y a une « manière soudaine » où la roue est brisée d'un seul coup, si l'on peut dire, et une « manière progressive » dans laquelle la roue est progressivement ralentie : un frein est doucement appliqué, amenant lentement la roue à un arrêt complet.
La première manière, la « manière soudaine », est illustrée, cela vous surprendra peut-être, non pas par une histoire des écritures Zen, mais par une histoire de l'Udana dans le Sutta Pitaka du canon pâli. L'histoire dit qu'un certain moine appelé Bahiya alla là où était le Bouddha. Il voulait rencontrer le Bouddha. Il avait été admis dans le Sangha dans un endroit éloigné du pays, et n'avait donc jamais eu l'occasion de le rencontrer. Quand Bahiya arriva, le Bouddha faisait apparemment sa tournée d'aumônes quotidienne. Bahiya demanda dans quelle direction il était parti et le suivit. Sous peu il le rattrapa. Marchant juste derrière le Bouddha alors que celui-ci allait de porte en porte, Bahiya l'interpella, disant : « S'il te plaît, donne-moi un enseignement. » Selon l'histoire, le Bouddha avait l'habitude de ne jamais parler durant sa tournée d'aumônes, alors il ne dit rien à Bahiya et continua calmement à marcher. Une seconde fois Bahiya lui demanda de façon bien plus urgente cette fois : « S'il te plaît, donne-moi un enseignement. » Le Bouddha l'ignora encore et continua à marcher. Une troisième fois, Bahiya fit sa requête. C'était une autre habitude du Bouddha que si quelqu'un lui demandait quelque chose pour la troisième fois, quelle que soit la question et quoique les conséquences pour celui qui l'avait posée puissent être terribles, le Bouddha répondait. Alors il s'arrêta sur ses pas, se tourna, regarda Bahiya droit dans les yeux, et dit : « Dans le vu, rien que le vu. Dans l'entendu, rien que l'entendu. Dans le touché, rien que le touché. Dans le goûté, rien que le goûté. Dans le senti, rien que le senti. Dans le pensé, rien que le pensé. » Ayant dit seulement cela, il se retourna et continua sa tournée d'aumônes. Bahiya s'éveilla sur-le-champ.
C'est la « manière soudaine ». Le Bouddha dit en fait : « Ne réagis pas ». « Dans l'entendu, rien que l'entendu ». Si un son frappe vos tympans, ce n'est qu'un son. Vous ne devez pas réagir à ce son, que vous l'aimiez ou que vous ne l'aimiez pas, que vous vouliez qu'il continue ou que vous vouliez qu'il cesse. De façon similaire, ne réagissez pas « au vu », « au goûté », « au touché », « au senti », « au pensé ». Laissez l'expérience pure être là. Ne faites pas de cette expérience la base d'une réaction dans l'ordre cyclique. Si vous pouvez faire cela, vous êtes Éveillé sur-le-champ, comme ce fut le cas de Bahiya : d'un seul coup, vous vous détachez de tout le samsara, vous arrêtez la révolution de la roue.
Certains d'entre-vous pensent peut-être que cette « manière soudaine » est impossible. Le cas de Bahiya montre que ce n'est pas vraiment impossible, mais c'est certainement très difficile. Pour la plupart d'entre-nous, donc, sinon pour nous tous, il vaut mieux essayer la « manière progressive ». Elle est appelée « manière progressive », mais elle n'est pas « remettre à jamais ! »

jap_8
FA
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Dharmadhatu
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jap_8 C'est très synchro avec un passage de L'Art de la méditation que j'ai survolé très récemment:

Lorsque vous entendez un son pendant la méditation, portez simplement votre attention sur l'expérience d'entendre. Cela et rien que cela [...] Pas de cinéma mental. Pas de concept. Pas de dialogue intérieur sur le sujet. Simplement des bruits. La réalité est d'une élégance simple et sans fioritures. Lorsque vous entendre un son, soyez attentif au processus d'entendre. Tout le reste est du bavardage surajouté. Laissez-le tomber.

Bhante Henepola Gunaratana.

Pour un pratiquant prasangika, il y a dans l'expérience ordinaire déjà un concept, même très subtil, pour que le simple objet "son" ou "bruit" soit reconnu comme tel, c'est pour ça qu'il est inutile de surajouter quelque discours que ce soit, comme le rappelle Bhante.

Pour un pratiquant mahayaniste, il s'agira ici du seul contexte de la méditation de type shamatha, ou concentration en un point, car vipashyana implique l'emploi à bon escient des concepts pour permettre leur apaisement dans la vacuité.

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Shakhyam

Il est de coutume d'opposer, à des fins didactiques et pédagogiques l'Eveil abrupt de HUI-NENG et l'Eveil progressif de SHEN-HSUI par ailleurs dénommé : ablation de la poussière.

Chacun connaît l'historique des 2 Gathas écrites par SHEN-HSUI et HUI-NENG à la demande de leur maître HUNG-JEN, 5ème Patriarche qui souhaitait donner la robe de transmission (du savoir) à l'un d'entre eux.

SHEN-HSUI écrit :

Ce corps est l'arbre de la Bodhi
Le mental est comme un miroir brillant
Prend soin de la garder toujours net
Et ne laisse pas la poussière s'y amasser.


HUI-NENG écrit :

Il n'y a pas d'arbre de la Bodhi
Aucun miroir brillant n'existe là
Puisque tout est vide,
Où la poussière peut-elle se déposer ?


Nous connaissons la fin de l'histoire et le choix de HUI-NENG en tant que 6ème Patriarche.

Il est patent, au premier niveau de lecture, que les textes sont contradictoires et que la consigne du premier consiste à nettoyer sans cesse le miroir du mental alors que le second met l'accent sur la vacuité fondatrice.

Après avoir privilégié HUI-NENG et son éveil abrupt, je considère désormais que la méthode progressive est aussi pertinente si on ne les oppose pas. A l'instar d'Albert EINSTEIN qui déclarait que "le hasard ne sourit qu'aux hommes préparés", je pense que l'abrupteté de l'Eveil ne survient qu'aux hommes préparés.

Il ne s'agit pas d'en faire, une fois de plus, une méthode de causalité mais de considérer qu'après avoir scié les barreaux de sa prison (il est toujours dedans) le prisonnier franchit le mur (d'un coup) et que ce nouvel état est soudain, abrupt et non-linéaire (il est dehors) sans aucun doute préparé par le sciage des barreaux mais radicalement différent cependant.




FleurDeLotus Butterfly_tenryu
boudiiii !

:D (le soleil vient de se lever ...)

malgré tout, je reste septique sur l'explication de l' "éveil abrupt" comme un acte qui relèverait de l'intention (celui de franchir le mur de sa prison) .
C'est pour ça que j'aime beaucoup un terme qu'à employer un internaute sur le forum "zen-et-nous" : celui d'éveil subit .
Car, par la magie de la langue française , on peut entendre "éveil subi" , ce qui se rapprocherait plus de l'idée que l'éveil abrupt se ferait au-delà de toute volonté personnelle .
Il me semble que le zen a du mal à expliquer ce qui ne relève pas de la conscience propre de l'individu , là où le BT parcontre se régale !
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Dharmadhatu
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Shakhyam a écrit :Après avoir privilégié HUI-NENG et son éveil abrupt, je considère désormais que la méthode progressive est aussi pertinente si on ne les oppose pas. A l'instar d'Albert EINSTEIN qui déclarait que "le hasard ne sourit qu'aux hommes préparés", je pense que l'abrupteté de l'Eveil ne survient qu'aux hommes préparés.
jap_8 Vraiment excellent !

Par contre, moins d'accord avec Boudiiiii parce que même si dans le BT on trouve aussi des évocations de l'Eveil subit, jamais on ne retrouve un Eveil subi dans le sens où ça tomberait sur tel ou tel pratiquants sans que ceux-ci l'aient jamais souhaité ni même envisagé. En effet, l'ensemble du BT est imprégné des enseignements sur l'esprit d'Eveil. A moins que je n'aie pas compris ce que tu voulais souligner.

FleurDeLotus
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Shakhyam

boudiiii ! a écrit ::D (le soleil vient de se lever ...)

malgré tout, je reste septique sur l'explication de l' "éveil abrupt" comme un acte qui relèverait de l'intention (celui de franchir le mur de sa prison) .

Tu as bien raison d'être sceptique puisque précisément je mettais en garde contre la causalité toujours effectivement constatable mais partielle


C'est pour ça que j'aime beaucoup un terme qu'à employer un internaute sur le forum "zen-et-nous" : celui d'éveil subit .

Il n'y a aucune différence entre "abrupt" et "subit" qui décrivent la même réalité factuelle. Ce qu'il importe de comprendre, et c'est pas facile, c'est que l'Eveil abrupt/subit est une déchirure du mur de l'illusion sur lequel nous vivons et qui en prépare l'éclosion, sans pour autant qu'il y ai causalité. Tant que je scie les barreaux, je suis enfermé ! Une fois scié, je suis dehors et libéré. Il est possible de dire que l'un dépend de l'autre mais également de dire que la statut de chaque "état" étant différent, la causalité est inopérante sans que pour autant la scie ou la lime ne servent à rien.

Car, par la magie de la langue française , on peut entendre "éveil subi" , ce qui se rapprocherait plus de l'idée que l'éveil abrupt se ferait au-delà de toute volonté personnelle .

Nous en sommes d'accord !

Il me semble que le zen a du mal à expliquer ce qui ne relève pas de la conscience propre de l'individu , là où le BT parcontre se régale !
d'autant que même la conscience ???.... les consciences peut être ! mais la conscience ? ...




FleurDeLotus Butterfly_tenryu
boudiiii !

(réponse à DDT)
ce n'est pas ce que j'ai dit , mais, dans un sens, c'est interessant ce que tu dis car cet éveil subi completement , sans l'avoir souhaité avant, se rapproche beaucoup de l'idée que les choses sont finalement totalement en dehors de notre contrôle conscient .
Je dis peut être n'importe quoi , je n'ai pas toute ma tête en ce moment , mais c'est une piste à creuser shuuuuuuuuuuuuttttt
boudiiii !

Shakhyam , tu n'as à mettre en garde contre rien , car il n'y a rien dont on doit se défendre dans l'a-causalité. Ton enthousiasme t'emporte souvent , et te fais dire des choses que tu contredis après par une dialectique sans fin :roll:
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Dharmadhatu
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boudiiii ! a écrit :(réponse à DDT)
ce n'est pas ce que j'ai dit , mais, dans un sens, c'est interessant ce que tu dis car cet éveil subi completement , sans l'avoir souhaité avant, se rapproche beaucoup de l'idée que les choses sont finalement totalement en dehors de notre contrôle conscient .
Je dis peut être n'importe quoi , je n'ai pas toute ma tête en ce moment , mais c'est une piste à creuser shuuuuuuuuuuuuttttt
:D Ca fonctionne très bien si on parle de la potentialité de l'Eveil, la nature de bouddha ou encore la conscience de claire lumière: son existence échappe en effet à notre contrôle. Mais pour ce qui est des conditions coopérantes de l'Eveil (le fait de pouvoir voir le soleil qui se lève quand les nuages ont disparu), nous avons toute notre responsabilité.

FleurDeLotus
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Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
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Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
boudiiii !

je suis d'accord, mais ce que je veux dire c'est que dans cette vie-ci , nous sommes pas toujours conscient de toutes les causalités qui se mettent en place en nous et qui dépassent de loin notre faculté à pouvoir interférer dans le processus d'éveil .


Bon, je ne vais pas m'éterniser sur le sujet ...
à+
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