Page 1 sur 2

Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 23 juin 2012, 15:07
par Dharmadhatu
:D
Par de multiples approches analytiques, le Traité démontre l'absence de nature propre de tous les phénomènes extérieurs et intérieurs. Il met en lumière l'absence d'existence réelle de la moindre particule, du plus court moment de conscience. Les apparences sont semblables à un rêve, au reflet d'un visage dans un miroir. Comment Nagarjuna articule-t-il sa démonstration pour nous amener à l'intuition que toutes les conventions de l'acte et de l'agent, de la cause et de l'effet sont acceptables ?

Une de ses techniques de prédilection est la conséquence nécessaire (prasanga), la réduction à l'absurde de toute thèse fondée sur l'idée d'une existence réelle, au moyen de laquelle Nagarjuna se contente de faire ressortir les fautes du contradicteur sans pour autant adopter la position contraire.

La discussion est aussi conduite en examinant la relation entre des groupes binaires - composé/incomposé, production/destruction, caractère/caractérisé - ou ternaires - agent/action/objet -, comme le voyant, la vision et la forme visible (chapitre III).

La question de l'identité et de la différence (X, 1; XIV, 7) d'un phénomène par rapport à ses causes est très souvent examinée. Cet argument forme la base des suivants, qui en sont des développements.

La discussion quintuple qui définit la relation entre deux phénomènes est une investigation tendant à établir, par exemple, dans le cas du feu et du combustible (X), si le feu est identique ou différent du combustible, s'il le contient, est contenu en lui ou le possède. Le raisonnement se retrouve au chapitre XXII.

Le raisonnement des quatre extrêmes (XX, 21-22; VIII, 7): une cause engendre-t-elle un effet existant, inexistant, existant et inexistant ou ni existant ni inexistant ?

Le raisonnement de la production dépendante (VIII, 12) est sous-jacent à tous les autres en ce sens que l'interdépendance même des choses prouve leur non-existence réelle et réfute les possibilités qu'elles soient produites selon les quatre extrêmes, les quatre formes de production ou d'autres modalités. On l'appeller le roi des arguments parce qu'il élimine les deux extrêmes: 1) d'éternalisme et 2) d'anéantissement. Il s'énonce ainsi: les choses n'existent pas réellement (repousse 1) parce qu'elles sont des productions dépendantes (repousse 2).

Nagarjuna recourt fréquemment à l'analyse temporelle (IX, XX) et met en lumière la solidarité des contraires (V, 6; XV, 5), à savoir que si une chose n'existe pas, son contraire n'existe pas non plus et inversement. 3

___________________________________
3 Sur les raisonnements madhyamika, voir en particulier: J. May, Candrakirti Prasannapada Madhyamakavrtti, p. 15-17; Chandrakirti, Entrée au Milieu, p. 56-58; D.S. Ruegg, p. 36-42; J. Hopkins, Meditation on Emptiness, p. 127-196.



Georges Driessens, Introduction (au Traité du Milieu de Nagarjuna; Seuil pp. 18-19).

FleurDeLotus

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 28 juin 2012, 23:43
par ted
Dharmadhatu a écrit :Nagarjuna recourt fréquemment à l'analyse temporelle (IX, XX) et met en lumière la solidarité des contraires (V, 6; XV, 5), à savoir que si une chose n'existe pas, son contraire n'existe pas non plus et inversement. 3
Ca, j'aurais pu le trouver tout seul... :mrgreen: Pas besoin de s'appeler Nagarjuna pour ça...
:D
loveeeee

Quoique...

Si quelque chose n'existe pas, son contraire ne peut pas exister. Ok
Mais si quelque chose existe, son contraire existe aussi quelque part ? :shock:

C'est quoi le contraire d'une chaise ?

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 29 juin 2012, 10:14
par Dharmadhatu
Ted a écrit :Si quelque chose n'existe pas, son contraire ne peut pas exister. Ok
Mais si quelque chose existe, son contraire existe aussi quelque part ?
:D Oui, et ça peut être simplement un concept: l'être est désigné en dépendance du néant, mais le néant n'existe pas (sinon nous ne serions pas là pour en parler), c'est juste un concept qui, lui aussi, est désigné en dépendance de l'être.
C'est quoi le contraire d'une chaise ?
Parmi les relations entre les phénomènes, il y a l'identité, la différence, l'exclusion mutuelle et l'opposition.

L'opposé de la chaise est la non-chaise. Mais un vase est une non-chaise et pourtant ce n'est pas l'opposé de la chaise, il lui est seulement mutuellement exclusif.

Bref, il y a beaucoup de débats là-dessus.

FleurDeLotus

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 29 juin 2012, 19:26
par ted
Dharmadhatu a écrit :L'opposé de la chaise est la non-chaise.
Excuse moi Christophe, mais c'est trop drôle comme réponse... :D
:mrgreen:

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 30 juin 2012, 11:44
par Dharmadhatu
ted a écrit :
Dharmadhatu a écrit :L'opposé de la chaise est la non-chaise.
Excuse moi Christophe, mais c'est trop drôle comme réponse... :D
:mrgreen:
:D Plus drôle encore: l'opposé de la non-chaise est identique à la chaise, mais en philosophie bouddhiste, l'opposé de ce qui n'est pas la chaise est un phénomène négatif, tandis que la chaise est un phénomène positif. Comment les deux peuvent-ils être identiques ?

FleurDeLotus

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 30 juin 2012, 11:58
par Longchen
Pourrait-on dire que la non-chaise est l'espace exact qu'occupe la chaise ?
FleurDeLotus

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 30 juin 2012, 13:54
par Dharmadhatu
Longchen a écrit :Pourrait-on dire que la non-chaise est l'espace exact qu'occupe la chaise ?
FleurDeLotus
:D Pas bête du tout Longchen.

Précision: On ne peut bien sûr parler que d'une ou plusieurs non-chaises mais pas de LA non-chaise car celle-ci est inexistante (vu qu'il existe au moins une chaise).

FleurDeLotus

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 30 juin 2012, 20:29
par Lupka
T'es sponsorisé par Doliprane DTH c'est ca :shock: loveeeee

T'es pire qu'un visiteur médical :lol:

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 01 juillet 2012, 03:34
par FA
Par de multiples approches analytiques, le Traité démontre l'absence de nature propre de tous les phénomènes extérieurs et intérieurs.
Tout à fait d'accord.
Il met en lumière l'absence d'existence réelle de la moindre particule, du plus court moment de conscience. Les apparences sont semblables à un rêve, au reflet d'un visage dans un miroir.
Nagarjuna ne réfute pas l'absence d' "existence réelle", mais réfute l'idée d'une réalité inhérente, existant par elle-même. Les apparences sont semblables à un rêve, mais le rêve est bien réel. ( En tant que réalité conventionnelle ).

Les particules sont réelles, elles existent en dépendance...Elle n'existent pas en elles-mêmes, ni par elles-mêmes.

On va me dire que je chipote, mais avec Nagarjuna on a vite fait de déraper...


jap_8
FA

Re: Les raisonnements [de Nagarjuna]

Publié : 01 juillet 2012, 10:29
par Dharmadhatu
Fa a écrit :Nagarjuna ne réfute pas l'absence d' "existence réelle", mais réfute l'idée d'une réalité inhérente, existant par elle-même.
jap_8 En effet, on peut vite déraper avec Nagarjuna: ici, existence réelle est synonyme de d'existence en soi, existence ultime, intrinsèque, inhérente, de nature propre: la preuve, le texte dit: Par de multiples approches analytiques, le Traité démontre l'absence de nature propre de tous les phénomènes extérieurs et intérieurs. Il met en lumière l'absence d'existence réelle de la moindre particule, du plus court moment de conscience.
Les apparences sont semblables à un rêve, mais le rêve est bien réel. ( En tant que réalité conventionnelle ).
Il est inapproprié de parler de réalité conventionnelle car ça voudrait dire qu'il y a deux réalités. Il n'y a qu'une réalité composée en deux niveaux de vérité. Le sanskrit lui-même (ainsi que le tibétain) dit "satya" (vérité; tib. dènpa).

Quand on parle des interlocuteurs de Nagarjuna, il s'agit des essentialistes qu'on appelle aussi "réalistes". (Ce n'est évidemment pas le même réalisme que dans les autres contextes comme l'épistémologie).
Les particules sont réelles, elles existent en dépendance...Elle n'existent pas en elles-mêmes, ni par elles-mêmes.
Quand Driessens évoque la moindre particule ou le plus court moment de conscience, il fait bien sûr référence aux vues des Atomistes (Vaïbhashika) et d'une sous-école des Détenteurs des Sutras (Sautrantika) selon lesquels une vérité ultime est une particule insécable ou un instant indivisible (cf. L'Abhidharmakosha de Vasubandhu).

FleurDeLotus