
Par de multiples approches analytiques, le Traité démontre l'absence de nature propre de tous les phénomènes extérieurs et intérieurs. Il met en lumière l'absence d'existence réelle de la moindre particule, du plus court moment de conscience. Les apparences sont semblables à un rêve, au reflet d'un visage dans un miroir. Comment Nagarjuna articule-t-il sa démonstration pour nous amener à l'intuition que toutes les conventions de l'acte et de l'agent, de la cause et de l'effet sont acceptables ?
Une de ses techniques de prédilection est la conséquence nécessaire (prasanga), la réduction à l'absurde de toute thèse fondée sur l'idée d'une existence réelle, au moyen de laquelle Nagarjuna se contente de faire ressortir les fautes du contradicteur sans pour autant adopter la position contraire.
La discussion est aussi conduite en examinant la relation entre des groupes binaires - composé/incomposé, production/destruction, caractère/caractérisé - ou ternaires - agent/action/objet -, comme le voyant, la vision et la forme visible (chapitre III).
La question de l'identité et de la différence (X, 1; XIV, 7) d'un phénomène par rapport à ses causes est très souvent examinée. Cet argument forme la base des suivants, qui en sont des développements.
La discussion quintuple qui définit la relation entre deux phénomènes est une investigation tendant à établir, par exemple, dans le cas du feu et du combustible (X), si le feu est identique ou différent du combustible, s'il le contient, est contenu en lui ou le possède. Le raisonnement se retrouve au chapitre XXII.
Le raisonnement des quatre extrêmes (XX, 21-22; VIII, 7): une cause engendre-t-elle un effet existant, inexistant, existant et inexistant ou ni existant ni inexistant ?
Le raisonnement de la production dépendante (VIII, 12) est sous-jacent à tous les autres en ce sens que l'interdépendance même des choses prouve leur non-existence réelle et réfute les possibilités qu'elles soient produites selon les quatre extrêmes, les quatre formes de production ou d'autres modalités. On l'appeller le roi des arguments parce qu'il élimine les deux extrêmes: 1) d'éternalisme et 2) d'anéantissement. Il s'énonce ainsi: les choses n'existent pas réellement (repousse 1) parce qu'elles sont des productions dépendantes (repousse 2).
Nagarjuna recourt fréquemment à l'analyse temporelle (IX, XX) et met en lumière la solidarité des contraires (V, 6; XV, 5), à savoir que si une chose n'existe pas, son contraire n'existe pas non plus et inversement. 3
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3 Sur les raisonnements madhyamika, voir en particulier: J. May, Candrakirti Prasannapada Madhyamakavrtti, p. 15-17; Chandrakirti, Entrée au Milieu, p. 56-58; D.S. Ruegg, p. 36-42; J. Hopkins, Meditation on Emptiness, p. 127-196.
Georges Driessens, Introduction (au Traité du Milieu de Nagarjuna; Seuil pp. 18-19).
