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Luigi Perasso : Mais y a-t-il, dans ce cas, une réalité commune ?
Ngawang Sherap : Oui, ce sont, dans le Bouddhisme, l’interrelation et l’interdépendance. La réalité est causée, elle dépend de facteurs, de conditions qu’il faut connaître. Elle n’est pas naturelle, ni spontanée.
6- Bruno Guitton : Socrate nous a dit : Connais-toi toi-même ! Que pensez-vous de ce vieux conseil de sagesse ?
Ngawang Sherap : Cela veut dire que nous ne savons pas qui nous sommes. C’est une véritable limitation. Qu’est-ce qu’une personne ? C’est une question qui ouvre la compréhension du reste, car c’est l’homme qui connaît le monde, l’univers matériel, les autres, etc.. Si on connaît la position de l’observateur, on connaîtra la chose observée. Quand on comprend que nous sommes un composé de parties, d’éléments naturels et biologiques, on va comprendre que nous faisons partie du monde.
Prenons une boîte où se trouvent des bouts de fer, si l’on parvient avec un aimant à attirer toute la limaille de fer, en trouvant la bonne position de l’aimant, on réussit à unifier une réalité dispersée. On a visé juste. C’est la suprême concentration. Celle du temps présent. Il n’existe que ce temps. Le passé, le futur n’existent pas. Etre soi-même, c’est être dans le présent, ne pas se projeter et ne pas se laisser déterminer par le passé. Dans le Bouddhisme, tout ce qui apparaît dispose en soi de la condition de la dissolution, d’où l’importance du présent. C’est la non permanence subtile. Elle fait partie de la nature de la réalité.
Bruno Guitton : Et l’éternité dans ce système ?
Ngawang Sherap : L’éternité est ici non permanente. Elle est en évolution constante. Notre problème est de chercher toujours un point de départ, une référence. Nous recherchons le relatif pour nous situer. Mais si vous êtes dans l’espace, il n’y a pas de dessus, de dessous. L’univers n’est pas fait pour nous.
Luigi Perasso : Le passé et le futur sont pourtant des références. Ils nous viennent à l’esprit et nous nous repérons ainsi. Que pouvons-nous faire ?
Ngawang Sherap : Il n’y a pas de localisation permanente. La vision bouddhiste affirme un changement constant : la non permanence subtile. Nous aussi, nous sommes dans ce changement ; nous devons vivre cette expérience du changement, et non l’expérience du passé ou du futur. Quand nous expérimentons la perception directe, voir par exemple une personne comme si c’était la première fois, sans se projeter, ou aller chercher une référence dans le passé, ainsi, nous vivons la qualité du présent.
Josefina Guitton : Mais le passé nous informe, nous avertit, il nous transmet un savoir, comment cette ouverture à la nouveauté peut-elle se maintenir ?
Ngawang Sherap : Le passé n’est juste qu’un nom. Quand on parle du passé, on parle d’une pensée, d’une représentation par le biais du souvenir. Il n’a plus de substance, de réalité. Seul le présent est un nom qui a un sens. Les mots du passé n’ont pas de sens dans l’acception de la réalité. Beaucoup de gens ne voient pas ce qu’ils ont, car ils sont toujours dans la projection. Prenez celui qui a beaucoup d’argent, un million de dollars. Il a trente ans, il divise son magot et projette sa vie dans les trente ans qui viennent. Mais il n’en profitera pas, de par le poids du futur, et les angoisses de perdre son argent. Le milliardaire peut être plus préoccupé que la femme de chambre.
Gesche : Qu’as-tu pensé Bruno de notre conversation ?
Bruno Guitton : Je trouve votre discours très cohérent. C’est incontestablement un système de pensée. A la fois original, et en même temps, je retrouve un certain nombre d’idées qui appartiennent à la tradition occidentale. Votre pensée me renvoie aussi paradoxalement à un certain enfermement culturel, qui est celui de la philosophie occidentale, peu ouverte à la pensée bouddhiste, qui se développe par métaphores ou par des contes.
Par ailleurs, je sens que vous faites comme vous dites. Ce qui est la véritable définition du philosophe. L’on perçoit un discours, mais aussi la bonté d’un homme. Chose rare de nos jours.
Gesche : Merci. Jamais, je n’ai pensé d’une façon académique, mais j’ai réfléchi par moi-même, pensant ma propre expérience. Ce que je dis, je le vis. Ou je parais vivre de la façon avec laquelle je réfléchis.