
J'aimerais discuter de la notion de renaissance, au sein de la vision bouddhiste. Mais avant de commencer, j'aurais deux remarques:
1 - Je ne m'intéresse pas (dans le cadre de cette discussion) à la réalité des renaissances. Je répète: ce qui m'intéresse est de savoir comment la notion de renaissance s'insère (ou pas) dans la pensée bouddhiste, et non pas de déterminer si les renaissances existent ou pas.
2 - Inévitablement au cours de ce genre de discussion, quelqu'un dira que ce qui importe est la pratique ici et maintenant, et non une discussion stérile des extrémités de la vie. Sans lui donner tort, je lui épargne à l'avance la nécessité de cette remarque, et considère que tous ceux qui répondront auront accepté de discuter, en dépit de cette mise en garde.
Maintenant allons au coeur du problème:
La pensée bouddhiste est basée sur les quatre nobles vérités, qui décrivent et traitent du problème de l'existence. Selon le bouddhisme, le problème (c'est à dire l'insatisfaction, souffrance) posé par l'existence est le résultat de l'impermanence, une des trois caractéristiques de l'existence (insatisfaction, impermanence, impersonnalité). Tout ce qui est impermanent est insatisfaisant, et tout dans l'existence étant impermanent, l'existence est source d'insatisfaction.
De ce que je comprends, l'impermanence en tant que règle générale vient du fait que contrairement à nos illusions, nous sommes - tant que nous existons - le résultat d'une coproduction conditionnée, c'est à dire que notre existence à un moment donné est le résultat de l'interaction de diverses conditions à ce même instant. Alors que nous nous voyons comme un individu/pensée/conscience, nous sommes en fait un assemblage momentané d’agrégats, un assemblage changeant destiné à se défaire. Il est de ma compréhension que tout ce qui existe est conditionné, et donc destiné à changer. Le nirvana est le non-conditionné, et en dehors de l'existence.
Une fois ceci compris, il devient difficile de voir comment la renaissance pourrait fonctionner dans ce système de pensée. Lorsque nous mourons, les agrégats qui nous composent se délient. Même si on imaginait que quelque chose reste assemblé le temps d'une autre renaissance, j'imagine qu'au fil des renaissances même ce "noyau" dur finirait par se disperser.
Au lieu de ça on dit dans le bouddhisme que quelque chose persiste au fil des renaissances. Quelque chose d'unique, unitaire, qui permet au Bouddha (dans le jataka) de se rappeller de "ses" vies antérieures au long des âges. Ce "quelque chose" semble être extrêmement permanent, puisqu'il traverse sans ciller les kalpas (billions et billions d'années), et ressemble furieusement à une âme, en dépit de tous les dénis des bouddhistes (je ne vois pas en quoi l’appeler l'ego y change quoi que ce soit).
Il me semble par ailleurs que si vraiment les renaissances existent de façon indéfinie et unitaire (l'être x devient l'être y, qui devient z), alors ce "quelque chose" (ego, âme, etc) me semble en fait être ce qu'il y a de plus permanent dans la réalité, et non pas une illusion, comme le suggère le principe d'impersonnalité. Ne devrait-on pas dès lors utiliser cette chose permanente comme référence de toute existence, chercher à communier avec notre "ego" profond et éternel, plutôt que de se forcer à ne voir en lui qu'une illusion?
Bref, il me semble qu'il y a un bug, une incohérence fondamentale entre les quatre vérités, les trois marques de l'existence, et la notion de renaissances. Si c'est le cas, il nous faudrait dès lors choisir une de ces deux visions, et rejeter l'autre.
Qu'en pensez-vous?