La permanence dans le bouddhisme: Attention à la confusion !

antodume

Bonjour Dharmadhatu (et les autres) jap_8
Dharmadhatu a écrit :J'ai eu l'occasion de rappeler sur ce forum que je n'ai aucune expérience dans le Dharma et cela n'a pas changé entre temps. Donc je ne poste que sur la base des écritures et du raisonnement.
D'accord
"Phénomène" (skt. dharma; tib. tcheu) et "existant" (sat; yeupa) par exemple sont synonymes en philosophie bouddhiste. Phénomène n'a donc pas forcément la même acception qu'en philosophie occidentale. Certains phénomènes existent sans que je puisse les percevoir, c'est ce que la logique bouddhiste appelle une raison valide de non observation de ce qui n'est pas susceptible d'apparaître (mi nangwa ma mikpé ta' yangdak).
Le problème ne vient pas tant de la définition du phénomène que de la logique de perception qui y est associée. Concernant un phénomène "ordinaire" (un objet, un concept, une pensée...), la perception suppose une dualité entre le perçu et le percevant. Pour le Dharmakaya, ce n'est pas la même chose. Bien évidemment, si, par définition, tu dis que tout ce qui existe est phénomène et que, puisque le Dharmakaya existe, donc c'est un phénomène, c'est logiquement valide. Mais cette définition force le Dharmakaya à se soumettre à un niveau de réflexion ou de logique auquel, en réalité, il n'est pas accessible. C'est là notre point de divergence, il me semble.
D'autre part, même si moi je ne peux pas les percevoir directement, il n'est aucun phénomène qui ne puisse apparaître à la conscience omnisciente d'un Bouddha; donc puisqu'un Bouddha peut percevoir le Dharmakaya d'un autre Bouddha, le Dharmakaya correspond tout à fait à la désignation "phénomène" au sens occidental.
Au sens occidental, le Bouddha n'a aucune représentation autre que le personnage historique qui a fondé le bouddhisme. Au sens occidental, la vue d'un Bouddha est incompréhensible. La conscience omnisciente d'un Bouddha n'est pas la perception d'un être ordinaire. Un Bouddha peut percevoir le Dharmakaya d'un autre Bouddha parce que le Dharmakaya d'un Bouddha est le Dharmakaya de tous les Bouddhas. Les différents Bouddhas comme les différents Corps de Bouddha ne sont séparés que pour la nécessité d'un exposé "théorique". Ce qui ne signifie pas non plus qu'ils sont unifiés dans une sorte de magma unitaire qui serait une vue de type "éternaliste", bien entendu.
Le Dharmakaya n'est ni permanent ni impermanent
Selon le Bouddhisme indo-tibétain, il est permanent car l'un de ses aspects (le Jñanadharmakaya) est impermanent et l'autre (le Svabhavikakaya) est permanent. Voir Buddha Nature de Geshe Sonam Rinchen. Lorsque je parle de son aspect conscient, c'est du premier qu'il est question.
Quand je dis que le Dharmakaya n'est ni permanent, ni impermanent, je faisais allusion à la temporalité qui me semblait émaner de ta présentation. Et quand je dis qu'il n'est ni permanent, ni impermanent, je fais aussi allusion au fait qu'il n'est pas dissociable des autres Corps. Ce n'est, encore une fois, que pour la nécessité d'un exposé théorique que l'on parle de "permanence" du Dharmakaya.
Il ne s'agit pas d'assimiler deux mots qui ne signifient pas la même chose mais de comprendre que cette expérience de la vacuité est ce qui montre que les phénomènes sont nécessairement impermanents. En effet, dès qu'un phénomène s'élève, sa vacuité s'élève de la même façon et c'est cela qu'on appelle impermanence. Pourquoi ? Parce que les phénomènes, étant vides par nature, sont par nature instables.
Il s'agit là du niveau le plus grossier de la vacuité: l'existence dépendante par rapport à des causes et des conditions
Je n'ai jamais prétendu le contraire. C'est la raison pour laquelle je disais que la vacuité des phénomènes n'est pas assimilable à celle - suprême - du Dharmakaya.
mais les deux niveaux plus subtils concernent aussi les phénomènes permanents, ils ne dépendent plus de causes et conditions mais d'autre chose: le tout par rapport à ses parties (apekshyasamutpada) et la dépendance par rapport à une désignation (pratityasamutpada). Bien qu'on entende souvent l'expression "production dépendante", il s'agit plutôt d'"existence dépendante".
Il n'y a pas, pour moi, de phénomènes permanents puisque je ne mets pas le Dharmakaya dans l'ordre des phénomènes. La permanence du Dharmakaya est sa propre vacuité. Mais il ne s'agit pas d'une vacuité permanente comme une qualité du Dharmakaya. Il ne s'agit pas de dire que le Dharmakaya est vide de nature propre comme on le dirait de n'importe quel phénomène. C'est là toute la difficulté à comprendre les choses du point de vue du raisonnement. Dire que le Dharmakaya est un phénomène revient à le réifier et donc à réifier la vacuité.
C'est peut être une autre lecture que celle du Prasangika Madhyamaka mais le Prasangika Madhyamaka n'a pas été enseigné par le Bouddha historique.
Cependant Nagarjuna avait été prophétisé par le Bouddha comme allant enseigner la vue ultime de celui-ci.
Je me suis mal exprimé. Ce n'est ni Nagarjuna, ni le Prasangika Madhyamaka que je mets en cause, mais plutôt la lecture que certains "docteurs" du Prasangika Madhyamaka en font. Cette lecture n'a pas été nécessairement enseignée par le Bouddha historique. C'est ce que je voulais dire.
Par contre, le Bouddha a bien enseigné que tous les composés (ou conditionnés) sont impermanents (sabbe samkhara anicca) et non pas tous les phénomènes. Par contre, il a bien dit que tous les phénomènes sont sans soi (sabbe dhamma anatta). Voir L'Enseignement du Bouddha de Walpola Rahula. Donc dire que tous les phénomènes sont impermanents (sabbe dhamma anicca) n'est pas l'enseignement du Bienheureux.
Tout cela me semble reposer sur une question de terminologie. Qu'est-ce qu'un phénomène non-composé ? Une simple perception dans la réalité non duelle (ou non-conceptuelle). Cela relève de l'expression du Samboghakaya pour moi. Pas du Dharmakaya. Considères-tu le Samboghakaya comme permanent ou impermanent ?
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Dharmadhatu
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la perception suppose une dualité entre le perçu et le percevant.
:D Pas nécessairement, lorsqu'il y a perception, la conscience prend l'aspect du phénomène perçu et du point de vue de cet aspect, il n'y a pas de réelle dualité, elle n'est que thérorique, sinon aucune conscience ne pourrait jamais rien appréhender, c'est comme ce que tu dis ici:
Les différents Bouddhas comme les différents Corps de Bouddha ne sont séparés que pour la nécessité d'un exposé "théorique". Ce qui ne signifie pas non plus qu'ils sont unifiés dans une sorte de magma unitaire qui serait une vue de type "éternaliste", bien entendu.


* * *
Mais cette définition force le Dharmakaya à se soumettre à un niveau de réflexion ou de logique auquel, en réalité, il n'est pas accessible. C'est là notre point de divergence, il me semble.
Pas tant que ça, puisque l'exposé que tu fais juste au-dessus soumet le Dharmakaya à un niveau de réflexion et de logique.
Et quand je dis qu'il n'est ni permanent, ni impermanent, je fais aussi allusion au fait qu'il n'est pas dissociable des autres Corps.
Il peut l'être théoriquement, sinon dès que le Paranirmanakaya du Bouddha disparaît, le Dharmakaya disparaîtrait aussi.
C'est la raison pour laquelle je disais que la vacuité des phénomènes n'est pas assimilable à celle - suprême - du Dharmakaya.
Si puisque le Dharmakaya est tout aussi vide que n'importe quel autre phénomène; sinon il est absolutisé (ou réifié) et on tombe dans un extrême.
Dire que le Dharmakaya est un phénomène revient à le réifier et donc à réifier la vacuité.
Pas du tout si on maintient qu'il est totalement vide. C'est lorsqu'on considère qu'il n'est pas vide de soi qu'on le réifie. Réifier un phénomène n'est pas réifier sa vacuité, c'est la nier.
Ce n'est ni Nagarjuna, ni le Prasangika Madhyamaka que je mets en cause, mais plutôt la lecture que certains "docteurs" du Prasangika Madhyamaka en font. Cette lecture n'a pas été nécessairement enseignée par le Bouddha historique. C'est ce que je voulais dire.
Sans aucun doute, certains bouddhistes peuvent se dire Prasangika sans avoir tout à fait la vue du Bouddha ou de Nagarjuna, comme ceux qui prônent une vacuité d'altérité (parabhava-shunyata) en absolutisant la vérité ultime.
Qu'est-ce qu'un phénomène non-composé ? Une simple perception dans la réalité non duelle (ou non-conceptuelle).
Il y a des phénomènes non causalement composés qui sont pourtant composés de parties constituantes, comme l'espace. On peut avoir une perception non conceptuelle d'un phénomène composé, comme la perception omnisciente d'un Bouddha qui perçoit ses disciples.
Considères-tu le Samboghakaya comme permanent ou impermanent ?
Je dirais temporairement permanent (rengawé takpa): il ne se modifie pas tant qu'il existe, mais se résorbe dans le Dharmakaya dès qu'il n'est plus utile (lorsque tous les êtres seront éveillés).

Amitié FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
antodume

@ Dharmadhatu : Je pense que cette discussion, pour intéressante qu'elle soit, ne nous mènera pas bien loin. Je ne suis pas amateur de dialectique et préfère m'en tenir là. Merci pour tes réponses.

Juste un détail, cependant, et qui a son importance : dire que le Dharmakaya est vide n'est pas tout à fait correct. Il est la vacuité. Mais il faut réaliser cette vacuité pour ne pas la réifier.

Amicalement jap_8
passagère

Sourire oui
Expérimenter par soi même c'est expérimenter à travers ses 5 sens , expérimenter à travers le sens mental par le raisonnement puis vérifier si ya contradiction ou pas avec la parole du Bouddha
Dumé quand Dharmadhatu dit que le Dharmakaya est vide , cela n'exclut pas qu'il est la vacuité , comme tu le dis aussi , mais que cette vacuité pour ne pas être réifier , est elle aussi vide d'existence propre . Mais il l'a expliqué trés bien ( enfin ça m'a paru à moi trés clair ) dans sa réponse précédente .
( Une chose m'étonne sur ce sujet , Yam n'a pas réagi sur Impermanence et Vacuité ...Vues bouddhiques maintien de la tradition ... :?: )
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jules
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Antodume :
Juste un détail, cependant, et qui a son importance : dire que le Dharmakaya est vide n'est pas tout à fait correct. Il est la vacuité. Mais il faut réaliser cette vacuité pour ne pas la réifier.
Donnons-nous quoi que ce soit à réaliser, (vacuité, éveil, nirvana, dharmakaya) et notre réalisation ultime, parfaite, résidera dans le fait même de rechercher à rejoindre cet objectif.

FleurDeLotus
antodume

Passagère a écrit :Dumé quand Dharmadhatu dit que le Dharmakaya est vide , cela n'exclut pas qu'il est la vacuité , comme tu le dis aussi , mais que cette vacuité pour ne pas être réifier , est elle aussi vide d'existence propre . Mais il l'a expliqué trés bien ( enfin ça m'a paru à moi trés clair ) dans sa réponse précédente
La vacuité dont parle Dharmadhatu et toi-même est déjà réifiée par le simple fait que vous la supposez vide d'existence propre mais c'est une chose qu'il vous est difficile de comprendre. La seule manière de bien comprendre la vacuité et de cesser d'y associer un emboitement de vacuités (vacuité de vacuité) pour éviter la réification, c'est de la réaliser. Il ne suffit pas de dire des choses justes. Il faut surtout les réaliser, sinon, c'est faux, même si cela correspond à 100% avec ce que disent les sutras. Ce n'est pas pour rien que ceux qui s'éveillent vraiment à leur vraie nature, après avoir étudié les sutras en long, en large et en travers, s'en débarrassent aussitôt. Les sutras disent des choses justes, mais ils ne sont pas votre propre vérité. C'est cela qui importe. C'est cela qui me fait dire tout et son contraire. C'est aussi à cause de cela que je rechigne à m'engager dans des discussions où je suis continuellement repris sur les mots. Mais quand vous me reprenez sur des points particuliers, je n'ai plus d'autres choix que vous répondre. Je ne vais pas vous bouder. Et ça n'en finit jamais. Alors, pour être clair, je vous le dit : tout ce que vous dites est juste, mais ce n'est pas votre vérité. C'est la vérité de Çakyamuni et ceux qui ont fait la même expérience. Alors, faites cette expérience et cessez de vous fixer sur les mots en les apprenant par coeur. Je sais bien que c'est tentant puisqu'il m'arrive aussi, régulièrement, de reprendre certains d'entre vous à cause de ce qu'ils affirment. Je suis encore pire que vous, parce que vous, vous croyez encore aux mots alors que ce n'est pas mon cas.
( Une chose m'étonne sur ce sujet , Yam n'a pas réagi sur Impermanence et Vacuité ...Vues bouddhiques maintien de la tradition ... :?: )
Il n'a pas réagit parce qu'il ne s'en tient pas aux mots mais sait par expérience. Le maintien de la tradition ne veut pas dire s'engager dans des débats sur des mots. Il sait quand des gens se trompent et quand d'autres ne se trompent pas même s'ils ne disent pas exactement les choses comme dans les sutras. Ce ne sont pas les sutras qui font foi quand on est bouddhiste mais notre propre expérience qui va influence la lecture des enseignements. Si vous n'avez aucune expérience, votre lecture des enseignement est erronée, même si vous en comprenez, intellectuellement, parfaitement le sens. C'est ça qui est important, très important, et non de savoir si la vacuité est permanente ou impermanente. A quoi cela vous sert-il si vous n'avez jamais réalisé la vacuité ? C'est un discours d'aveugles à propos de la couleur du ciel alors que le mot "bleu" n'a aucune signification pour eux autre que ce qu'ils y mettent dedans, c'est à dire ce qu'ils y rajoutent en terme de chose. C'est cela la réification de la vacuité dont je parle. C'est une réification d'aveugles qui discutent de la couleur du ciel.
remind

antodume a écrit :
Là, je te suis parfaitement ...

jap_8
remind

remind a écrit :
antodume a écrit :
Les moyens et les voies et les façons de s'y engager font, ici, aussi l'objet de moult et interminables discussions ...
ted

Les éveillés se comprennent à demi mots, c'est ça ? :D :mrgreen:

En fait un éveillé, il dit la même chose qu'un non éveillé. Mais quand il le dit, c'est juste. Pourquoi ? Parce que c'est un éveillé. ;-)
"Y'a le mauvais chasseur y voit un truc y tire c'est sur alors là on le reconnaît à la ronde mais le bon chasseur y voit un truc... :roll: y tire... :roll: ... mais c'est un bon chasseur quoi. Bon toute façon c'est des questions à la con ça"
antodume

Ce n'est pas une question d'être éveillé ou pas, Ted. Mais quand les débats tournent à vide sur des questions de mots, ce n'est pas la peine de continuer. On sent immédiatement que le dialogue ne se fait pas parce que le langage n'est tout simplement pas commun. C'est tout. Mais ce n'est que mon point de vue. Si les gens veulent débattre sur les mots, moi ça ne me dérange pas. Je m'efforce simplement de ne pas me perdre là dedans.
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