Lupka a écrit :jvais essayer de rebondir sur le reflet du mirroir: face a la combativite (attaques?) d'autrui le meilleur moyen de nettoyer ce dernier est de ne pas se defendre et simplement comprendre que c'est l 'ego d'autrui qui nous renvoie a notre propre ego
Du point de vue du Zen, il y a, dans cette proposition, une erreur fondamentale (rassure-toi, tu n'es pas le seul à la faire puisque cette erreur fut l'objet de la scission définitive entre l'école du Nord, représentée par Shen Xiu, et l'école du Sud, représentée par Huineng, actuellement la seule école reconnue par le Zen et le Chan). Cette erreur fondamentale provient de l'idée qu'il existe un miroir à nettoyer. La réalisation zen, celle qui est dénommée kensho ou satori, est de réaliser (c'est à dire comprendre et expérimenter), qu'il n'y a pas de miroir, pas d'esprit, pas d'âme, pas d'ego... rien de tout cela. Mais cette réalisation n'anéantit pas le monde ; ce n'est pas un blackout. Cette réalisation montre que le monde est parfait depuis l'origine et cela s'appelle la splendeur du Samboghakaya.
Quand on tourne son regard vers l'intérieur, c'est cette vacuité là qu'il faut réaliser. Ce n'est pas quelque chose qui est compréhensible par l'analyse. C'est quelque chose qui se voit ou qui se touche comme on peut voir sa main et la toucher.
Quand Shen Xiu, le tenant de l'école du Nord et rival de Huineng écrivit une stance (à la demande de Hung jen, le 5ème Patriarche) pour montrer sa compréhension du Zen, il dit ceci :
« Ce corps est l’arbre de la bodhi
Le mental est comme un miroir brillant ;
Prends soin de le garder toujours net
Et ne laisse pas la poussière s’y amasser »
Huineng, qui était présent au monastère à ce moment là, en tant que laïc et illettré, se fit lire la stance par un moine et demanda à ce dernier qu'il écrive, pour lui, sa propre compréhension. Et Huineng, avec l'aide du moine, écrivit la stance suivante :
« Il n’y a aucun arbre de la Bodhi
Aucun miroir brillant n’existe là.
Puisque tout est vide,
Où la poussière peut-elle se déposer ? »
Quand Hung jen lu la stance de Shen Xiu, il lui dit qu'elle mettait en exergue une bonne compréhension du Zen mais qu'il n'avait pas encore vu dans son propre esprit. En revanche, il comprit que Huineng avait réalisé cette vacuité : le fait "
qu'aucun miroir n'existe là". Et c'est ainsi que Hung jen donna la robe à Huineng tout en lui demandant de fuir parce que le temps n'était pas encore venu pour qu'un illettré, laïc et venant du Sud soit accepté comme 6ème Patriarche.
Donc, quand on tourne son regard vers l'intérieur, on retourne son esprit comme un gant et on réalise sa propre vacuité. Il ne faut pas croire que cette réalisation est limitée à soi et qu'elle ne concerne pas les phénomènes, comme j'ai pu le lire sur ce forum. Réaliser cela, c'est réaliser que
tout a la nature de Bouddha ; c'est à dire réaliser que tout ce qui existe est notre vraie nature. Notre "vrai Soi" comme on dit dans le Zen. Et que cette nature est Vacuité et Sapience. Ceci est la vraie réalisation. C'est la réalisation de Çakyamuni. Aussi, grâce à cela, on peut dire que seul cet acte qui consiste à retourner le regard vers l'intérieur est proprement révolutionnaire. Il est révolutionnaire non seulement parce qu'il nous fait réaliser notre vraie nature mais aussi parce que, continuant sur le chemin avec cette vue correcte, on finit par être libéré. C'est un peu comme quand on passe la porte d'une prison. D'abord, on a du mal à réaliser qu'on est dehors, après toutes ces années passées à l'intérieur, puis, progressivement, on intègre cette donnée jusqu'à ce que la prison ne soit plus qu'un mauvais souvenir.
Donc, il n'y a pas de miroir à nettoyer. Voilà la vraie réalisation. Il n'y a pas d'ego à améliorer ou à détruire. Mais une chose continue à infester l'esprit des hommes, en général : c'est l'ignorance. C'est un peu comme savoir que des gens sont encore en prison alors que la porte est ouverte. C'est triste et quand on leur dit : mais bougez-vous le cul pour passer cette porte ! il n'y a pas de mépris. Il n'y a pas de lutte pour se mousser ou montrer que nous on sait et que d'autres ne savent pas. Ces injures (neuneus, ânes...) ne sont pas tournées contre les êtres mais contre l'ignorance. Et quand quelqu'un dit qu'il faut nettoyer le miroir et atteindre la paix de l'esprit, ce n'est pas sa réalisation qui parle, mais sa propre ignorance. C'est un peu comme vouloir se tenir sage et se faire bien voir des matons pour n'avoir pas d'ennui avec eux et avoir une chance de sortir plus vite. Quand on sait que la porte est ouverte, il faut avouer que c'est nul, non ? Et ceux qui s'illusionnent d'avoir compris parce qu'ils ont compris intellectuellement que l'esprit est vide, qu'il n'y a pas d'ego... sont encore plus gravement atteints que les autres ! Car c'est de la compréhension intellectuelle seule que s'élève l'orgueil spirituel. Pas d'une vraie expérience. Pas d'une vraie réalisation. Alors, évidemment, quand on en parle, c'est presque avec les mêmes mots. Comme on dit : ça a le gout de l'alcool... mais ce n'est pas de l'alcool.
Et quand on a fait cette expérience, on sait évidemment qui est déjà dehors et qui n'a pas encore passé la porte. Mais celui qui n'a pas passé la porte voit toujours l'autre du même côté de la porte, comme lui, à l'intérieur. C'est la projection de l'ego sur un miroir qui n'existe pas. La seule façon d'échapper à cela, ce ne sont ni les livres, ni les sutras, ni les prières... La seule façon d'échapper à cela est de pratiquer avec quelqu'un dont on est sûr, de par sa formation et la reconnaissance qu'il a eu de ses pairs et de ses pères, qu'il est vraiment de l'autre côté de la porte. Et jusqu'à ce qu'on passe la porte réellement, on se fera rabrouer, secouer. A chaque fois qu'on sortira des phrases des sutras, on se fera traiter d'âne car aucun sutra n'a jamais libéré un homme. Aucun bouquin. Qu'il ait été écrit par Çakyamuni en personne (ce qui n'est jamais le cas... tien, tien...) ou par un lettré.