Paramita et karma

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Dharmadhatu
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En fait c'est un point de vue renversé : là où la pluipart ont une vision d'une progression, d'un but où aller (l'état de Bouddha), Houei Neng dit que c'est là qu'est le point de départ.
C'est le lieu de controverses avec nombres d'écoles, qui n'ont pas ce point de vue.
C'est la formulation de l'éveil subit. Immédiat.
Il ne nie pas une progression, une évolution, mais c'est la reconnaissance directe de l'éxpérience dans l'instant d'être éveillé, qui est donc le coeur de l'affaire.
A partir de là, on a un repère qui permet de pratiquer avec un point d'ancrage.
Je lisais Daniel Odier sur le tantrisme, c'est une formulation quasiment identique.
De toutes façons, le tantrisme a mâtiné le bouddhisme, en fait lors de ce fameux concile près de Lhassa, au 8e siècle, je crois, le tantrisme a été admis et le chan vaincu, mais parait que le roi était amateur du chan, et a politiquement laissé le tantrisme à une place officielle...des maîtres chan allant donc jusqu'à influencer les pratiques de Mahamudra, dzogchen;, etc...
:D Il y a beaucoup de justesse dans ce que tu dis, comme le fait qu'il existe une certaine similitude entre le subitisme sino-japonais et le Tantrisme.

Je me demande seulement si Kamalashila (le débattant indien du Bouddhisme progressif) était tantrika... Il est surtout réputé pour ses shastras sur le Paramitayana.

Les annales historiques disent qu'en fait le débat de Lhassa n'opposait pas le Bouddhisme indien au Bouddhisme Ch'an, mais le Bouddhisme indien à une vue pervertie du Ch'an, celle de Hashang Mahayana (ou Hoshang Mohoyen) qui prônait un non engagement mental (tib. sem mithrowa) afin de réaliser la vacuité. Je ne pense pas que ceci soit en vigueur dans les traditions sino-japonaises, d'après le peu que j'en ai compris.

En fait je ne suis pas sûr que les pratiques Ch'ans aient influencé le Mahamudra et le Dzogchen car les textes de ces deux pratiques furent importés au Tibet depuis l'Inde, et pas depuis la Chine. Le premier monastère tibétain, Samyé, comportait plusieurs ailes où étaient enseignées et pratiquées différentes traditions, comme le Ch'an (qui fut appauvri par les vues de Hashang), mais le Dzogchen était (bien plus qu'aujourd'hui) enseigné de manière très secrète. De plus, après ce Concile de Lhassa, le Roi Trisong Détsen fit un décret en faveur du Bouddhisme indien (représenté par Kamalashila):

… le peuple du Tibet devra maintenir la philosophie de Nāgārjuna. Il devra aussi s’engager dans la conduite quotidienne des six perfections et des dix actes vertueux. Au regard de la tradition méditative, il devra entraîner son esprit dans le développement des trois sagesses et être fermement ancré dans la parfaite unité de la pacification mentale et de la vision supérieure, l’union des moyens habiles et de la sagesse.

Merci pour ton post qui aide beaucoup à ma compréhension.

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
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michel_paix
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Bonjour, j'aimerais soulever les points intéressant de Chakyam, qui reviens sans cesse au même argument, je vais l'aborder dans mes mots: les renaissances, la mort et le karma ne sont pas des dhammas, ce sont des approches "sociale"...

Qu'en dites vous ?? :)
:)
lausm

Le fait qu'un phénomène de notre vie comme ceux que tu évoques devienne un dharma, ne dépend que de notre façon de les envisager dans l'existence.
Dharma, est un mot dont la signification est aussi loi, subtance, phénomène. Qui désigne quelque chose dans son essence.
C'est en tous cas ce que je crois. Si l'on est partie prenante de la réalité, nous ne sommes pas séparés de ce que nous percevons donc l'influençons par notre regard.

Intéressant, ce report sur le concile de Lhassa et la perversions du chan.
C'est encore le sempiternel débat sur l'aspect passif de la méditation ou pas.

En fait, dans le zen, il y a clairement un engagement mental.
Le non agir est une action délibérée en elle-même.
Décider du non engagement, pour en faire un pilier, à mon avis c'est limiter le zen à un quiétisme, ce qu'il n'est pas.
D'où la présence de mots, d'enseignements, de travail très concret, de relations aux autres, de relation au maître, de pratiques sous formes différentes que la méditation assise, pour que ce qui est expérimenté de façon plus privilégiée alors, puisse être transporté sous d'autres formes, dans la vie ordinaire.
La vacuité se fout d'engagement mental ou pas, elle dépasse largement ces notions là, elle les déborde même.
Par contre elle n'est pas une fin en soi : la vacuité elle-même doit être abandonnée à elle-même, sous peine de s'y attacher. C'est aux antipodes de ce qu'est la vacuité, ou plutôt c'est ce qu'elle n'est pas : un but, un quelque chose à prendre.
Pour cela que malgré tous les mots qu'on puisse dire du zen, là où il est le plus efficace c'est quand on retourne au silence. Là où justifier n'a pas de nécessité.
Mais sur un forum, je conviens, ça fait vide...mais c'est souvent le mieux pour se trouver soi-même, se retrouver.
Il y a un engagement mental, dans le don de soi à l'univers, dans le retour à soi, à se regarder soi-même. Pour réaliser que ce soi qu'on observe est partie prenante de l'univers, est un être de relation.
et cet engagement mental se résorbe de lui-même.

En fait, je ne sais pas quoi dire de mieux pour expliquer un truc qui ne peut l'être seulement par des mots.
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jules
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Lausm :
Pour réaliser que ce soi qu'on observe est partie prenante de l'univers, est un être de relation.
et cet engagement mental se résorbe de lui-même.

En fait, je ne sais pas quoi dire de mieux pour expliquer un truc qui ne peut l'être seulement par des mots.
Par le biais des mots, on apprend aussi qu'il existe un truc qu'on ne peut absolument pas dire. On parle du non-dit et on dit : "surtout ne pensez pas voir la perle dans mes mots; la perle, elle est partout ailleurs, là où précisément mon doigt ne pointe pas."
C'est pour cela peut-être qu'on dit qu'un seul cheveux suffit à séparer le ciel et la terre Butterfly_tenryu

tous ensemble_333
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Dharmadhatu
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Lausm a écrit :En fait, dans le zen, il y a clairement un engagement mental.
Le non agir est une action délibérée en elle-même.
Décider du non engagement, pour en faire un pilier, à mon avis c'est limiter le zen à un quiétisme, ce qu'il n'est pas.
jap_8 Merci Lausm, c'est très précieux ce que tu dis.

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
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chakyam

Le Zen est d'abord un enseignement et une pratique « au-delà des mots » d'où notre difficulté à en parler. Néanmoins sur un forum, impossible de faire différemment.

C'est pourquoi cette phrase est compliquée. Je cite : Le fait qu'un phénomène de notre vie comme ceux que tu évoques devienne un dharma, ne dépend que de notre façon de les envisager dans l'existence.

Compliquée parce qu'elle m'inspire l'accord qu'il dépend de nous de considérer les phénomènes et désaccord parce que nous ne pouvons faire autrement et que cette considération s'inscrit dans un schéma spirituel constitutif de notre Humanité qui s'impose.

Voudrions-nous refuser ce schème spirituel que nous ne le pourrions pas car le refuser serait encore le considérer et la Vie n'a que faire de nos refus ou de nos accords. Du point de vue de DOGEN qui s'inspire de l'Ecole Sarvastivadin l'ensemble des dharmas manifeste l'Etre-là et à ce titre ne peut être séparés ni déclassés ni dévalorisés.

Et c'est bien naturel. Que l'Eveil surgisse abruptement ou progressivement, il prend appui, s'articule, intègre la totalité des éléments particuliers qu'éventuellement notre « ignorance » aurait classé, déclassé, catégorisé, conceptualisé bref... avili.

Par contre il ne me semble pas qu'il y ait clairement un engagement mental précisément parce zazen prétend, par sa propre pratique, laisser s'exprimer la conscience universelle que la conscience personnelle et mentale occulte. Si ma mémoire est fidèle le terme chinois Wu-Nien traduit parfaitement l'esprit du zen (Non-Pensée – Non-Agir) qui certes fait partie de la conscience personnelle qui l'énonce quand elle l'annonce bien qu'étant un frein à son expression tout en n'en étant pas à l'origine.

En conséquence le Non-Agir n'est pas une action délibérée en elle-même ce qui voudrait dire qu'il s'agit d'une décision consciente du cerveau frontal alors qu'il s'agit d'une action inconsciente (Wu-Wei) exprimée par le corps-esprit en son entier via le thalamus et l'hypo-thalamus et non par le seul cortex et né-cortex. Le non-agir est le lieu asymptotique où les phénomènes (shikki), les non-phénomènes (Mu) et la vacuité-essence (ku) sont en puissance d'expressivité. J'aime prendre comme image un orchestre symphonique qui attend son chef pour jouer telle ou telle œuvre. Le chef arrive, salut ses musiciens et son public et lève sa baguette. A ce moment le phénomène musique est en suspens et conjointement le non-phénomène ainsi d'ailleurs que la vacuité qui les constitue. Le chef abaisse sa baguette et à ce moment, et à ce moment-là seulement, la tripartition reprend sa fonction, expression pure de sa propre universalité... et la musique jaillit.

FleurDeLotus Butterfly_tenryu
Apsara

Bonjour,
Le non-agir me semble bien être une perception mentale car il apparaît quand l'action ne donne pas les résultats escomptés. Or il semble que tu dises le contraire au travers de l'exemple de l'Orchestre qui me paraît intuitivement juste mais que je n'arrive pas totalement à expliquer.
Peux-tu développer ?
Merci
chakyam

Apsara a écrit :Bonjour,
Le non-agir me semble bien être une perception mentale car il apparaît quand l'action ne donne pas les résultats escomptés. Or il semble que tu dises le contraire au travers de l'exemple de l'Orchestre qui me paraît intuitivement juste mais que je n'arrive pas totalement à expliquer.
Peux-tu développer ?
Merci

Bonjour,

Pour les besoins de l'explication afin de te répondre, je vais supposer connu de tous le principe trinitaire qui fonde l'ensemble des philosophies ( !!!) religieuses auxquelles nous sommes culturellement accoutumées (Tao-Ying-Yang – Père-Fils-Saint Esprit – 3 Corps de Buddha, etc etc...)

La Trinité que je vais utiliser est issue du Bouddhisme zen japonais auquel j'ai déjà fait allusion précédement. Il s'agit des vocables :

Shikki – les formes couleurs, les phénomènes y compris mentaux
Mu – les non-phénomènes, les japonais disent « ne pas »
Ku – la vacuité, l'absence d'essence en soi, de réalité intrinsèque.

Evidemment c'est au niveau de la réalité émergente des phénomènes (shikki) que cette trinité va se manifester. A l'utilisation on croit que ce que l'on touche, voit, sent, entend et goutte est la seule « vérité » susceptible de nous satisfaire et l'on élabore multitudes de théories et explications en rendant compte.

En affinant/approfondissant leur propre connaissance les anciens sages se sont aperçus que les phénomènes étaient ce qu'ils étaient également par ce qu'ils n'étaient pas, d'où l'appellation « ne pas » et qu'ainsi la négation participait des phénomènes à égalité de l'affirmation.

Il a, en outre et parallèlement, fallut que se développent une pratique et une intuition extra-ordinaire pour que soit affirmée la vacuité, c'est-à-dire, l'absence de réalité en soi de toutes choses et en conséquence leur interdépendance totale, profonde et éternelle.

Ce simple rappel pour désormais préciser comment le Non-Agir s'inscrit dans une trinité que l'énoncé semble présenter comme séparée mais dont nous allons constater que chacune des fonctions est concomitante aux autres.

Imaginons un Y majuscule. La branche de gauche est assignée aux phénomènes (shikkis), la branche de droite aux non-phénomènes (mu) et celle du bas à la vacuité (ku) – Pour les besoins de l'explication nous allons imaginer que le système est statique (ce qu'il n'est jamais dans la réalité) et qu'à la suite d'une décision arbitraire et aléatoire il s'ébranle. C'est l'Agir qui agit (!!!) en vue d'un résultat conscient/inconscient que les 5 sens vont reconnaître et identifier et qui nous oblige à « coller » à lui. C'est la base même de l'attachement comme mentionné à l'alinéa 3.

Et bien ! De la même manière que l'Agir nous poussait à agir en vue d'un résultat hypothétique et faisait apparaître le phénomène (Shikki), l'absence de phénomène (Mu) et leur absence de réalité propre (Ku) ? auquel cependant on s'identifiait, le Non-Agir permet la même action avec cependant une différence de taille. La réalisation de l'Eveil facilite la mise en branle sans identification aux résultats ni aux moyens d'obtention dudit résultat, sans attente d'un quelconque bénéfice pour soi dans un avenir proche ou lointain, sans souci d'appropriation ni de domination. Il réside au centre de l'embranchement mais contrairement à l'Agir qui sans cesse s'investit dans une des branches, il les maintien en équilibre dynamique dans l'action qui néanmoins se produit sans pour autant en briser l'unité. Ce point est asymptotique.

On voit bien, dans ces conditions que le non-agir ne peut en rien dépendre de la raison, de la conscience, de la décision unilatérale mais qu'il est une qualité émergente sans que l'on puisse supposer, pour autant, qu'elle est quelque part, en attente. En outre et contrairement à ce que nous dit le sens commun, la Non-action n'est pas une action qui n'agit pas mais le moment où toutes les modalités actives sont en suspension, comme le Chef d'orchestre en attente, la baguette levée afin que s'actualise la musique qui jusqu'alors n'est que silence....

FleurDeLotus Butterfly_tenryu
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michel_paix
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Bonjour Chakyam,

J'ai l'impression que Shikki et Mu sont en dualité l'un envers l'autre, comme exister et ne pas exister (que Ku viendra ''résoudre'')... J'aimerais bien comprendre ce que tu entends par Shikki et Mu, as-tu une comparaison qui reflèterait bien l'idée ??

Existe t'il un lien entre le tetra de Nagarjuna et la ''trinité zen :lol: '' Shikki, Mu et Ku ??

Se que tu appel le non-agir est en quelque sorte l'ordre naturelle des choses qui s'opère, mais n'est en rien et n'a jamais été un agir issu d'une [essence propre], c'est par l'avidité/aversion que la réalité est [coloré] et par ignorance l'on prend cette coloration pour réalité seul, ce qui nous fait tourné en rond car l'on a pas cultiver l'habitude de voir les choses tel quel le sont, mais tel que cette coloration voit avec tout sont baguage d'habitude d'avidité et d'aversion. Est-ce bien le sens que tu évoques ??

<<metta>>
:)
chakyam

Michel,

C'est tout à fait çà ! Shikki et Mu sont en totale osmose dans la sphère de la manifestation (en tant qu'actuel et virtuel ou bien pile et face ou encore paume et dos de main) et tu en fournis toi-même l'exemple qui nous rappelle W. SHAKESPEARE (Etre ou ne pas Etre)

Cette dualisation se réduit d'elle-même quant on regarde sa paume de main ou la pièce de monnaie bien qu'un peu plus difficile à « saisir » entre actuel et virtuel. En toutes occurrences elle nous rappelle le lien entre le tétralemme de NAGARJUNA et la trinité du zen en ce que chacun met l'accent sur l'incapacité de l'intelligence à dialectiser les éléments sans faire appel à un principe qu'elle va nommer « transcendant » - En fait, ce principe n'est « au-dela » que par rapport à ces définitions particulières et, nous le savons maintenant, est contenu dans la manifestation en tant que conscience universelle.

Bien que je m'interroge sur l'ordre naturel des choses et sa légitimité je ne peux qu'être d'accord avec toi. L'Agir que nous subissons est en fait la résultante d'une exaltation de l'Ego que nous identifions au Réel alors que notre intuition nous démontre qu'il est possible « de faire les choses, sans les faire, tout en les faisant », symbolisation d'un Dharma « déségocentré » qui intègre les contraires dans une action que l'état d'esprit qui y préside rend universel.

FleurDeLotus Butterfly_tenryu
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